Bruno Aubusson de Cavarlay, président de la commission, a présenté le rapport 2013
Après avoir interrompu ses travaux en juillet 2008, la Commission de suivi de la détention provisoire s’est formée sous la présidence de Bruno Aubusson de Cavarlay, chercheur émérite au CNRS, Cesdip. Son premier rapport vient d’être remis et est disponible sur cette page.
La commission de suivi de la détention provisoire (CSDP, article 72 de la loi n°2000-516 du 15 juin 2000), après avoir interrompu ses travaux en juillet 2008, a été de nouveau installée après la nomination de ses membres en avril 2012. Le rapport 2013 examine donc l’évolution de la situation en matière de détention provisoire sur une période assez longue. Il tente de répondre avant tout aux exigences du législateur par un panorama de l’état de la législation, un commentaire de l’évolution des données statistiques rassemblées par la Commission et un bilan de l’application de la procédure de réparation des détentions provisoires suivies de non-lieu, acquittement ou relaxe.
Le contexte de ce rapport n’est plus le même, en ce qui concerne l’actualité des questions pénales, qu’en 2002, après la mise en application de la loi du 15 juin 2000 ; il n’est pas non plus le même qu’au moment de l’interruption provisoire des travaux en 2008, après une année d’intenses changements législatifs. La détention provisoire n’a plus, semble-t-il, le même rang dans les préoccupations politiques affichées. Dans le domaine pénitentiaire, les divers rapports préparés et rendus publics depuis 2012 ne lui consacrent que de brefs développements, à partir d’un constat présentant la situation française en matière de détention provisoire comme acceptable. Ce constat s’appuie essentiellement sur la baisse observée de la proportion de prévenus parmi l’ensemble des détenus. Comme les rapports antérieurs de la CSDP, celui-ci s’attachera à dresser un tableau statistique plus exact que celui donné par cette seule proportion, dont la baisse se poursuit uniquement parce que le nombre de détenus condamnés continue de croître de façon préoccupante.
Le nombre absolu de prévenus se maintient depuis quelques années à un niveau sensiblement inférieur à celui du début des années 1980, période pendant laquelle la détention provisoire était perçue comme étant le principal facteur d’inflation carcérale, selon le terme employé à l’époque. Cependant cette diminution, constatée principalement entre 1995 et 2000 et donc avant la loi du 15 juin 2000, n’annule pas l’influence de la détention avant jugement sur le niveau de la population pénitentiaire. Même si cela fait moins qu’en 1995 (23 000), 16 500 détenus considérés comme prévenus pour la statistique en janvier 2013, ce n’est pas négligeable. Le retour à la situation du début des années 1980 n’est pas un motif suffisant pour renoncer aujourd’hui à se préoccuper de la détention avant jugement définitif.
La situation est marquée aujourd’hui par un état de sur-occupation des maisons d’arrêt bien plus préoccupant qu’au début des années 2000, lors de la mise en place de la CSDP : de 114 au 1er janvier 2000, la densité carcérale (rapport du nombre d’écroués détenus à la capacité opérationnelle des établissements) des maisons d’arrêt et quartiers de maisons d’arrêt est montée jusqu’à plus de 135 en 2008 et 2009. Une baisse jusqu’à environ 119 en 2011 a été annulée par une nouvelle progression et, au 1er décembre 2013, elle dépassait 136. Ces variations sont d’abord liées à celles du nombre de condamnés détenus. Il n’en reste pas moins que les prévenus détenus, tous placés en maison d’arrêt, sont les premiers à subir les conséquences de cette sur-occupation, un numerus clausus étant appliqué de fait dans les établissements pour peine.
Les tendances observées depuis 2011 montrent d’ailleurs que la stabilité du nombre de prévenus détenus pourrait se révéler fragile et l’on ne saurait exclure une remontée liée à divers facteurs. Plus qu’un résultat bénéfique de l’encadrement législatif du placement en détention provisoire, la diminution puis la stabilité du nombre de ces personnes détenues avant condamnation définitive viennent de la forte diminution de long terme du nombre d’affaires mises à l’instruction et, depuis moins longtemps (depuis 2005 approximativement), de la limitation du nombre d’affaires jugées en comparution immédiate. Le niveau du flux d’entrée (défèrements) dans cette filière pénale, au sein de laquelle l’incarcération rapide représente l’enjeu principal, est déterminant pour la détention provisoire. L’incarcération avant jugement définitif est encore aujourd’hui la voie prédominante d’entrée en prison parmi l’ensemble des entrées pour une année donnée. Une pause semble observée depuis 2007, mais la situation peut changer significativement si la croissance globale du nombre d’affaires pénale reprend.
Par ailleurs, le tableau reste alarmant en ce qui concerne la durée des détentions provisoires. Ceci est examiné dans le rapport avec le détail autorisé par les données statistiques disponibles. Sur le point qui était le plus sensible lors de l’interruption des travaux de la Commission en 2008, celui des très longues détentions provisoires avant jugement par les cours d’assises, il est observé que la diminution du contentieux criminel entraîne bien une légère baisse de la durée moyenne globale de la détention provisoire, mais sans que les choses ne changent vraiment en termes de durée de la détention provisoire pendant l’instruction et la phase d’audiencement. C’est la correctionnalisation croissante d’affaires d’abord poursuivies sous des qualifications criminelles qui permettrait de ne pas aller au-delà de niveaux certes légaux, mais peu compatibles avec les normes européennes et la durée raisonnable mentionnée à l’article 144-1 du code de procédure pénale.
La question reste posée de savoir si un système aussi fortement bifide (choix entre la voie très courte de la comparution immédiate et la voie d’une instruction considérée comme forcément longue, voire de plus en plus longue) pourra longtemps être accepté par l’ensemble des acteurs professionnels et des justiciables comme producteur d’un équilibre procédural optimal et comme adéquat en matière de garantie des libertés individuelles. La réflexion de la commission sur ce point est encore en cours. L’incertitude actuelle sur les orientations qui seront prises pour une réforme importante de la procédure pénale prolonge une phase pendant laquelle est surtout relevé le report de la mise en application de lois qui n’auront donc pas eu besoin d’être évaluées en pratique.
La démarche d’évaluation de la commission est aussi délicate lorsque à ces incertitudes juridiques s’ajoute une dégradation, que l’on espère toujours provisoire, des données statistiques disponibles. Le déploiement de l’application de gestion informatique en matière pénale (Cassiopée) étalé sur plusieurs années est à l’origine d’une rupture de certaines séries anciennement disponibles (en particulier pour l’instruction). S’agissant des données de type nouveau et plus riches que cette application devait apporter, la priorité a été donnée, dans le programme statistique du ministère de la Justice, au suivi de la mise à exécution et de l’application des peines. En amont, les statistiques policières, utiles par les indications qu’elles donnent par types d’infractions sur la privation de liberté avant jugement (garde à vue et surtout personnes écrouées), ne sont plus vues comme présentant des garanties suffisantes de fiabilité ; là aussi, les réformes qui s’annoncent pourraient aller avec des ruptures de séries. Les statistiques pénitentiaires deviennent alors le dernier « baromètre » encore en service, avec une restriction de taille puisque l’essor considérable de l’exécution des peines sans hébergement rend insuffisant le système de production traditionnel, fondé sur les comptages en « stock » ou en mouvements de personnes écrouées, détenues ou non.
D’où une rénovation en cours appuyée sur l’exploitation du fichier national des détenus.
La commission de suivi de la détention provisoire exprime ainsi ses besoins en matière de statistiques relatives à la détention provisoire, pour ne pas se retrouver à plus ou moins brève échéance en charge d’une question de moindre importance comme tout ce qui ne se compte pas. La première demande reste de pouvoir quantifier, douze ans après l’entrée en application de la procédure de réparation des détentions provisoires suivies de non-lieu, d’acquittement ou de relaxe, le volume et les caractéristiques des cas pour lesquels les personnes ayant subi ce parcours, puisque ces données ne sont toujours pas disponibles. D’autres éléments font toujours défaut comme la possibilité de pouvoir distinguer dans les diverses sources ce qui relève de la détention provisoire « instruction » de la détention provisoire liée à la comparution immédiate.
L’une des modifications législatives importante depuis 2007 pour la détention provisoire concerne l’une des alternatives à cette détention. L’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) est devenue une mesure indépendante du contrôle judiciaire et devrait être choisie de préférence à la détention lorsque c’est un moyen suffisant, au contraire du contrôle judiciaire, pour remplir les objectifs qui justifient les restrictions de liberté avant jugement. Ce rapport, poursuivant les premières évaluations faites dans le cadre de travaux parlementaires, analyse, selon les d’informations qui ont pu être rassemblées (visite, auditions, statistiques), le développement de cette alternative. L’examen devra en être poursuivi en se gardant d’admettre a priori l’hypothèse selon laquelle un dispositif qui connaît un succès certain pour l’exécution des peines peut être transposé à la phase qui précède le jugement. Les données disponibles ne vont pas dans ce sens et les prérequis d’une telle extension méritent une attention particulière.
Le rapport annuel 2013 de la CSDP permet de rendre publics des éléments d’évaluation de la procédure de réparation des détentions provisoires suivies de non-lieu, acquittement ou relaxe. Le chapitre consacré à ce thème fait le point sur la jurisprudence et son évolution et sur l’évaluation quantitative des demandes et décisions rendues. Les données statistiques établies par les juridictions pour permettre ce suivi sont enrichies par une étude commencée dès 2006 et poursuivie par le Pôle d’évaluation des politiques pénales (PEPP) de la direction des Affaires criminelles et des grâces. L’étude repose sur les décisions individuelles dont une copie parvient à ce service en application de l’article 72 de la loi du 15 juin 2000.
Le rapport 2013 de la Commission CSDP_2013
Voir le Questions pénales tiré des premières années d’existence de la Commission.