par – mars 2011
Le ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur a ouvert, ces dernières semaines, une « consultation électronique » sur le projet en cours de création d’une nouvelle section du CNU, consacrée à la criminologie.
Le CESDIP, l’un des centres de recherche majeurs en Europe sur la sociologie du crime et de son traitement, suit ces développements avec toute l’attention qu’ils méritent. Pourtant, dans les conditions présentes, les chercheurs du CESDIP ne prendront pas part à cette consultation et encouragent vivement leurs pairs à s’abstenir de toute participation.
Car avant même que la consultation ne fût ouverte, un comité dit de suivi sur ces questions a été mise en place, dont le « rapporteur » (M. Vallar, doyen de la Faculté de Droit de l’Université de Nice) a présenté un « rapport d’étape » (sic), affiché sur la page du ministère.
Ce rapport d’étape évoque tout d’abord la mise en place d’une « section CNU ad hoc » (sic), c’est-à-dire « hors du champ du renouvellement en cours de l’actuel CNU ». Une formule suggère aussi que des « éléments apportés par le débat lancé actuellement pourraient éventuellement permettre au ministère de réfléchir à la création d’une section dédiée selon les formules prévues par les textes ». Sans prétendre à la compréhension exacte de cette formulation cryptique, nous préférons ne pas souscrire au contournement des textes et des règles qui seules assurent la garantie d’un fonctionnement transparent et démocratique de nos institutions universitaires. Il en va de même de la création de postes d’ATER et/ou de contrats doctoraux hors-sols qui sont évoqués.
Mais les enjeux et le scandale ne sont pas seulement universitaires, ils interpellent la société toute entière. En effet, ce rapport dit d’étape précise que l’intitulé du champ (de la criminologie à venir) est « trop limitatif ». En effet, « la criminologie contemporaine ne peut pas négliger les dimensions stratégiques des phénomènes criminels », si bien que « la dénomination ’criminologie, diplomatie, polémologie, stratégie’ pourrait être de fait plus adéquates », même si, précise le rapporteur, « la discussion doit être totalement ouverte ».
Cette mention délirante de la criminologie comme sous-ensemble particulier des sciences de la guerre achève de convaincre, avant même tout débat, que l’entreprise n’a aucun rapport avec la connaissance du crime, son traitement et les réactions sociales qu’il suscite ou appelle ; sauf à considérer que la moindre infraction (de l’absentéisme à l’école à la délinquance sexuelle ou routière) est partie d’un ensemble plus vaste, celui du terrorisme international. Un troisième document présenté sur le site précise du reste que ce projet est en stricte application d’un rapport présenté par M. Bauer au Président de la République intitulé « La formation et la recherche stratégique« , achevant ainsi de convaincre que ce débat ne porte définitivement pas sur la criminologie mais sur tout autre chose. L’absence de représentants de sciences sociales dans ce comité dit de suivi manifeste toute la distance entre ce projet et la communauté académique.
Laboratoire de sciences sociales, le CESDIP considère ce projet comme étant en tous points étranger à sa vocation. Raison pour laquelle il ne prendra pas part à la consultation, et encourage ses collègues et pairs à faire de même.