par Laurent MUCCHIELLI – mars 2009

Laboratoire de recherches du CNRS en même temps que service de recherches du ministère de la Justice, il est aussi, depuis le 1er janvier 2006, rattaché à l’Université de Versailles-Saint-Quentin. Né sous ce nom en 1983, le CESDIP a toutefois une histoire plus ancienne. Sous son appellation précédente, Service d’Études Pénales et Criminologiques (SEPC), il fut en réalité créé officiellement à la toute fin de l’année 1968 au sein du ministère de la Justice. Cela fait donc un peu plus de 40 ans. 

La composition de l’équipe

L’équipe du CESDIP connaît une forte croissance depuis quelques années puisque l’effectif est passé de 37 à 56 membres depuis 2004. Cette croissance témoigne du fort dynamisme du laboratoire et de la bonne réputation dont il jouit tant dans la communauté scientifique qu’auprès des institutions. Elle concerne du reste tous les types de statuts : les agents administratifs (8 titulaires et 1 contractuel), les chercheurs CNRS (13 personnes), les universitaires (6 personnes), les post-doctorants (9 personnes), les doctorants (10 personnes), les chercheurs associés (8 personnes) et les chercheurs contractuels (1 personne). On se reportera à l’organigramme pour visualiser l’architecture complète et la liste de tous ces personnels. 

Les grandes thèmes de recherches

Le programme collectif de recherches du CESDIP est structuré autour de sept axes.

1 – L’analyse statistique des délinquances : grandes enquêtes du laboratoire et analyse des données institutionnelles

Tout d’abord, l’analyse secondaire des statistiques institutionnelles (statistiques de police et de gendarmerie, statistiques judiciaires) est un des points forts de l’activité de recherche du laboratoire depuis l’origine. Au début des années 1970, le SEPC avait ainsi eu en charge la publication du célèbre Compte Général de l’Administration de la Justice Criminelle (la statistique judiciaire). Cette source, complétée maintenant par des données informatisées, fournit la base de travaux de sérialisation historique qui se poursuivent (base Davido). À partir du milieu des années 1980, et de façon croissante, les statistiques policières se sont progressivement imposées dans le débat public et dans les politiques publiques en raison des lacunes croissantes de la statistique judiciaire. Il ne s’agit pourtant pas d’un outil de mesure de la délinquance mais de l’activité policière, ce qui est tout différent. Cet ensemble de données continue de faire l’objet de tout ou partie du programme de recherches de plusieurs membres du CESDIP. Ces derniers analysent ainsi régulièrement l’évolution de nombreux contentieux tels que les violences interpersonnelles ou les stupéfiants par exemple, et surtout, ils décryptent par ce biais le fonctionnement de la « machine pénale », aussi bien au niveau policier et gendarmique qu’au niveau judiciaire.

Ensuite, le CESDIP a introduit en France, au début des années 1980, l’état international des savoirs sur la victimation jusqu’alors largement méconnu. Dans le même temps, il a proposé, lors d’une conférence au Conseil de l’Europe, une conception des enquêtes qui ne serait pas uniquement axée sur la seule préoccupation du comptage. Il a ainsi réalisé au milieu des années 1980 la première enquête nationale de victimation. Il a ensuite réalisé, à la fin des années 1980, à la demande de la Délégation Interministérielle à la Ville (DIV), les premières enquêtes locales de ce type, qui sont prolongées dans le cadre d’un partenariat avec le Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU). En 2001, le CESDIP a également mis au point, dirigé et analysé pour l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région d’Île-de-France (IAU Île-de-France) la première enquête régionale (analyse répliquée en 2003). Enfin, nous avons entamé une vaste opération de sérialisation des enquêtes nationales réalisées par l’INSEE depuis 1996, ce qui permet désormais de mesurer des évolutions de moyen terme.

2 – La sociologie et l’histoire des comportements déviants

Outre la réalisation de travaux ponctuels liés à l’actualité sociale (comme les émeutes de novembre 2005, qui ont occasionné deux recherches collectives), les chercheurs du CESDIP apportent une contribution régulière à l’avancement des connaissances dans plusieurs domaines :

  •  Les déviances et délinquances juvéniles sont revenues en force sur la scène publique en France, au début des années 1990, après l’apparition des émeutes à partir des années 1990-1991 et avec le retour de la problématique (très ancienne) de la délinquance juvénile. La recherche en sciences sociales a été logiquement de plus en plus sollicitée et la production scientifique s’est fortement accrue en quinze ans. Le CESDIP y prend sa part avec des recherches issues de la mise en œuvre de trois outils : les traitements statistiques, les études de dossiers pénaux et les ethnographies de terrain.
  •  Les déviances et violences en milieu scolaire sont un autre thème ayant émergé progressivement dans les années 1990. Les recherches menées au CESDIP contribuent à l’extension des connaissances sur cette question en montrant notamment comment conjuguer approche quantitative et qualitative, enquête de victimation, enquête de violence auto-déclarée et monographie d’écoles. On travaille aussi par ailleurs sur les processus de déscolarisation.
  •  Les recherches sur les homicides se poursuivent, dans une double dimension quantitative (mesure de l’évolution du phénomène depuis les années 1970, analyse de sa répartition géographique) et qualitative (analyse des profils socio-démographiques des auteurs et des victimes, ainsi que de leurs relations).
  •  Les délinquances économiques et financières sont abordées sous l’angle des rapports entre l’économie et le système pénal. Les recherches sont réalisées sur diverses formes des pratiques économiques irrégulières, qu’il s’agisse des économies dites informelles, des flux financiers illégaux, des délinquances économiques, de la corruption ou du crime organisé.
  •  Ajoutons enfin le démarrage d’une recherche sur la criminalité sexuelle qui donnera ses premiers résultats en 2010.

3 – La sociologie et l’histoire des institutions pénales et des professionnels de la sécurité : la police

Après le développement des grandes enquêtes de victimation et le retour des travaux sur la délinquance juvénile, le fort accroissement des recherches sur la police est une autre caractéristique de l’évolution des travaux du CESDIP ces dernières années. Ces recherches se font dans deux grandes disciplines qui se partagent les périodes : à l’histoire revient le XIXe siècle et le XXe jusqu’aux années 1960 et la guerre d’Algérie ; à la sociologie reviennent les dernières décennies du siècle et l’actualité immédiate de l’évolution des organisations policières (police nationale, gendarmerie nationale, polices municipales). Côté histoire, des recherches sont menées sur la police rurale au XIXe siècle (les gardes champêtres), sur la Surveillance du Territoire à partir des années 1930, sur les relations entre la police et le Parti communiste, sur les relations entre la police et la population algérienne vivant en France, ou encore sur les rapports de complémentarité mais aussi de concurrence entre police et gendarmerie dans la première moitié du XXe siècle. Ajoutons que cette histoire contemporaine des polices ne se fait pas uniquement sur la base du travail d’archives, elle s’appuie aussi sur l’histoire orale et cherche à collecter le maximum de témoignages d’acteurs encore vivants. Côté sociologie, le travail est axé actuellement sur la sociodémographie du corps policier, sur la police de proximité, sur l’évolution de la gendarmerie, sur les polices municipales, sur la police et les pratiques discriminatoires, sur la féminisation des corps de police, sur le management des services de police et l’élaboration des politiques nationales de sécurité. Et ces thématiques sont généralement abordées dans une optique comparative à l’échelle européenne, voire internationale.

4 – La sociologie et l’histoire des institutions pénales et des professionnels de la sécurité : la justice

Les recherches sur la justice sont menées sur un double plan méthodologique. Sur le plan quantitatif, le CESDIP poursuit sa tradition de recherche sur le système pénal, les logiques institutionnelles, l’évolution de l’orientation des affaires pénales, ainsi que les phénomènes d’anticipation ou de rétroaction entre les différents niveaux des « filières pénales », depuis les mises en cause policières jusqu’à l’exécution des peines. Sur le plan qualitatif, les chercheurs travaillent d’abord sur les acteurs de la justice pénale, les recherches les plus récentes portant sur les avocats, sur les juges des enfants et sur les procureurs. Ensuite, ils pratiquent aussi une sociologie des pratiques judiciaires pour tenter de comprendre en particulier comment les pratiques des magistrats sont affectées par les modifications du système de gestion des tribunaux, et comment ceci se répercute sur les décisions judiciaires. Les chercheurs s’intéressent en particulier ici au « traitement en temps réel ». Ils travaillent enfin sur l’évolution globale d’un secteur particulier de la justice qui est soumis depuis une quinzaine d’années à d’incessantes réformes et remises en cause : la justice pénale des mineurs.

5 – La production des normes pénales et les politiques publiques dans le domaine

Si l’étude des transgressions et des sanctions apportées par les institutions pénales occupe la part principale du programme collectif de recherches du CESDIP, un troisième volet n’a jamais été perdu de vue : celui des incriminations. Les normes pénales transgressées par les uns et sanctionnées par les autres ne cessent en elles-mêmes d’évoluer. La période contemporaine illustre ce processus jusqu’à la caricature dans la mesure où les politiques de sécurité changent la loi pénale chaque année (voire plusieurs fois par année) au point que l’on a pu parler de « frénésie sécuritaire ». Plusieurs recherches s’intéressent ainsi à la production des normes pénales (incluses celles de la procédure policière et pénale) et à l’évolution des politiques publiques de sécurité en relation avec certains contentieux particuliers (comme la cyber-criminalité), avec certaines populations (surtout les mineurs) ou avec certains territoires (les quartiers populaires). Les chercheurs s’efforcent également de situer ces réflexions sur l’évolution des politiques publiques dans un cadre européen et international.

6 – Les mesures et sanctions pénales

Les recherches portant principalement sur certains comportements délinquants associent désormais presque systématiquement la question de leur traitement pénal : c’est le cas des recherches sur les mineurs délinquants, sur les infractions à personnes dépositaires de l’autorité publique, sur les délinquances économiques et financières ainsi que sur les viols. Par ailleurs, les chercheurs travaillent toujours sur les peines. À quelques exceptions près (notamment une recherche en cours sur le Travail d’intérêt général), ils se concentrent sur la prison, tant au plan statistique qu’au plan qualitatif et aussi bien à titre présententiel (détention provisoire) qu’en tant que peine. Depuis quelques années, nous avons aussi logiquement ouvert un nouveau chantier de recherches sur le placement sous surveillance électronique. Nous nous interrogeons ensuite sur les aménagements de peine et sur la question de la sortie de prison. Enfin, tout ceci amène logiquement à travailler sur l’impact des sanctions et sur la question de la récidive.

7 – L’histoire de la sociologie du crime et les théories sociologiques de la déviance

L’histoire des sciences et l’épistémologie constituent enfin l’un des axes de travail désormais classique du CESDIP. Les recherches centrées naturellement sur la sociologie de la déviance, la sociologie du crime et la criminologie. Les chercheurs ont ainsi travaillé sur l’histoire de la sociologie du crime en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sur l’histoire des revues scientifiques dans le domaine, sur l’histoire des recherches sur la délinquance juvénile et sur l’histoire de la criminologie et de son non-développement institutionnel en France. Par ailleurs, nous développons aussi désormais une sociohistoire des statistiques, domaine qui connaît aujourd’hui un essor considérable, qui prend pour objet les nombreuses controverses politiques associées à des débats statistiques, controverses qui posent des problèmes théoriques importants et nouveaux parce que la sociologie de la connaissance y entre en relation avec la sociologie du pouvoir. 

Les structures de la collaboration internationale

1 – Le Groupement Européen de Recherches sur les Normativités (GERN)

Le GERN est un GDR-E du CNRS associé au ministère de la Justice. Il consiste en une entreprise de structuration d’un domaine de l’Espace européen de la recherche, celui sur les normes, déviances, délinquance, insécurité. Les activités scientifiques des quelques 40 centres de recherche de onze pays européens (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Slovénie, Suisse) participant au réseau sont structurées autour de séminaires, de journées d’études dites « Interlabos », de colloques, de publications, ainsi que de contrats européens.

Son programme comporte également une série de séminaires et de colloques, en particulier un séminaire co-organisé avec la Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme consacré aux « Justices militaires en Europe de l’Ancien régime à nos jours », et un autre portant sur « Prison, pénalité, modernité », co-organisé avec plusieurs partenaires européens.

Sur la période 2006-2009, le projet d’Action de coordination CrimPrev financé par la Commission européenne a absorbé l’essentiel des énergies du réseau (cf. sa présentation ci-après).

2 – Le Laboratoire Européen Associé (LEA)

Le Laboratoire Européen Associé « Délinquances, politiques de sécurité et de prévention ; recherches comparatives franco-allemandes » est le produit d’une con-vention signée en 1998 entre la Max-Planck Gesellschaft et le CNRS. Il s’agissait alors du premier LEA en sciences humaines et sociales. Il associe le CESDIP, le CLERSÉ (UMR-CNRS) et le département de criminologie de l’Institut Max-Planck de Freiburg-im-Breisgau.

Le LEA a pour vocation première le soutien aux recherches. Il finance donc en priorité les missions de recherche et, de manière secondaire, les opérations de valorisation. Il soutient aussi des recherches doctorales et post-doctorales.

Au cours des dernières années, le LEA a conduit des activités de recherche comparée sur les technologies et la preuve pénale, la police et les minorités, la coopération policière internationale, les pouvoirs de sanction du parquet, les politiques pénitentiaires et le travail carcéral. Le LEA a été renouvelé pour un dernier quadriennat (2006-2010) par les deux institutions.

3 – Le Projet CrimPrev

Dans le cadre du 6e programme de recherche de l’Union européenne, le GERN pilote une action de co-ordination intitulée « Assessing Deviance, Crime and Prevention in Europe » (CrimPrev). Ce projet européen d’une durée de 3 ans implique un consortium de 31 institutions partenaires comprenant pour moitié des équipes membres du GERN et des partenaires extérieurs pour l’autre moitié. La Coordination/Gestion du projet est sous responsabilité du CNRS.

L’objectif du projet est de dresser un bilan des connaissances à l’échelle européenne dans le domaine indiqué. Ceci englobe à la fois la question de l’évolution des comportements déviants et délinquants, celle de l’évolution des processus de criminalisation et des politiques publiques de prévention et de sécurité, celle de l’évolution des perceptions du crime et de l’insécurité. La liste des séminaires et des publications est disponible sur le site Internet créé à cette occasion :http://www.crimprev.eu. 

Les publications liées au laboratoire

Le CESDIP dispose d’abord du bulletin de recherche, Questions Pénales, diffusé gratuitement à plusieurs milliers d’adresses électroniques et postales, qui bénéficie également d’une version en anglais (Penal Issues). Ce bulletin est principalement dédié à la publication de résumés de recherches qui font par ailleurs souvent l’objet d’une édition dans notre collection « Études et Données Pénales ». Toutes ces publications sont intégralement accessibles en ligne sur notre site Internet (http://www.cesdip.fr), de même que leurs archives depuis l’origine.

Par ailleurs, le laboratoire est le point d’appui de la direction et/ou de la rédaction de 4 revues scientifiques : 

  •  Déviance et Société (revue internationale de langue française, fondée en 1977), 
  • Crime, Histoire et Sociétés/Crime, History and Societies (revue internationale bilingue, fondée en 1997), 
  • Revue d’Histoire des Sciences Humaines (revue nationale fondée en 1999), 
  • Champ Pénal/Penal Field (revue internationale de langue française fondée en 2004). 

Le centre de ressources documentaires

Le centre de ressources documentaires du CESDIP gère une bibliothèque multilingue de 16 200 documents environ, abonnée à 80 périodiques spécialisés. Outre le fonds d’ouvrages et les collections de revues, la richesse scientifique est due aussi à une très abondante littérature grise, à de nombreuses thèses et rapports de recherche. Un portail documentaire en Intranet participe à la valorisation des actions du laboratoire et vient renforcer la réputation du fonds documentaire d’être parmi les plus importants en Europe dans le domaine.

Le fonds, aussi bien « papier » que désormais numérique, est devenu un véritable centre de ressources documentaires, un outil de recherche qui fournit un véritable accompagnement de la recherche. Il est accessible aux chercheurs et doctorants français et étrangers sur simple rendez-vous. Le catalogue intégral du centre de documentation sera bientôt accessible en ligne sur notre site Internet.

 

Voir en ligne : {Questions Pénales-Le CESDIP a 40 ans}