Le CESDIP regroupe aujourd’hui la plus forte concentration française de chercheurs travaillant sur les questions policières. L’axe « Recomposition des organisations policières » constitue donc un ensemble important de recherches, avec une forte diversité des démarches et des niveaux d’analyse : sociologie, science politique, histoire, démographie. Outre les recherches portant sur la France, le CESDIP produit également un volume substantiel de travaux comparatifs ou portant sur des pays étrangers. Pour la commodité de l’exposé, nous présenterons successivement les recherches à caractère historique, de tradition nombreux au CESDIP, puis les recherches à caractère sociologique.

De leur côté, les recherches sur l’histoire des technologies policières ont connu un tel développement ces dernières années qu’elles font l’objet d’une présentation spécifique dans ce rapport (axe « Surveillance et technologie »). De même, les travaux sur les politiques partenariales incluant la police font également l’objet d’un développement spécifique (axe « Territoire, partenariat, régulation »), et ceux sur le rapport des policiers aux minorités, et inversement (axe « Minorités et discriminations »).

 

Histoire de la police et de la gendarmerie

Parmi les travaux historiques, on trouve un premier bloc de travaux consacrés à la police et un deuxième qui, sans prendre la police comme objet central, s’appuient très fortement sur les sources policières et les discutent en tant que telles.

Un certain nombre de recherches prennent les polices pour objet de leurs investigations. C’est le cas de la thèse d’histoire de Laurent López, soutenue en 2012, portant sur la comparaison entre police et gendarmerie sur la fin du XIXe et le début du XXe siècle ; de la thèse de Gaby Castaing sur l’histoire de la Sûreté du territoire (ancêtre de la DST) de sa création à 1944 ; mais aussi des travaux de Pierre Piazza sur les premiers développements de la police technique et scientifique, notamment autour de Bertillon, de la question du fichage policier (Jean-Marc Berlière, Pierre Piazza) ou de l’étatisation de la police de la périphérie parisienne (René Lévy). Sur la période de la IVe République, on doit compter les recherches d’Emmanuel Blanchard qui, à partir de sa thèse de doctorat soutenue en 2008, qui portait sur la police des Algériens à Paris depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, a embrassé tout un ensemble de thématiques relatives aux relations complexes entre police et politique sous la IVe République et la Ve naissante.

D’autres travaux, principalement consacrés à la période de la Deuxième Guerre mondiale, portent sur une exploitation intensive des sources policières et comportent une forte dimension méthodologique, dans la mesure où – au-delà de leur objet propre – ils éprouvent la pertinence de l’utilisation des archives de police sur cette période, alors que cette source est souvent ignorée, sous-estimée, ou décriée. Dans cet ensemble, on trouve en particulier les différentes recherches de Jean-Marc Berlière sur la libération de Paris, et la thèse soutenue en 2012 de Frank Liaigre sur la Résistance.

Enfin, Emmanuel Blanchard et René Lévy participent à l’ANR SYSPOE (2012-14), dirigé par Vincent Denis (Université Paris 1), qui se propose d’étudier les systèmes policiers, entendus comme les configurations qui se nouent entre les différents acteurs de la police dans un espace donné, en Europe et dans ses prolongements coloniaux aux XVIIIe et XIXe siècles, selon une démarche comparative. Porté par 4 unités de recherche, ce projet réunit 14 chercheurs permanents, historiens des XVIIIe et XIXe siècles, mais aussi un sociologue et un politiste. Il combine une réflexion générale et interdisciplinaire sur les systèmes policiers à travers un séminaire régulier, et des recherches spécifiques déclinées en divers ateliers thématiques. Son ambition est de jeter les bases d’une étude européenne des polices, contribuer à une meilleure connaissance des sociétés européennes des XVIIIe et XIXe siècles en interrogeant leurs formes de régulation, et d’éclairer par l’expertise de la réflexion historique certains questionnements sur les systèmes policiers actuels.

A côté de ces travaux spécialisés, les chercheurs du CESDIP ont eu à cœur de publier des ouvrages de synthèse qui aujourd’hui comptent comme des références dans le paysage académique (autour de René Lévy et Jean-Marc Berlière notamment).

Sociologie de la police

Ces recherches s’organisent autour de plusieurs thèmes qui s’insèrent dans la démarche plus générale décrite dans les axes transversaux. Il s’agit pour nous d’articuler autour de l’objet Police différentes méthodologies des sciences sociales, autour principalement de diverses approches sociologiques et de science politique : la sociologie du travail et des professions, l’organisation policière, la coopération policière internationale.

La sociologie du travail et des professions

Cette discipline témoigne de la portée toujours manifeste, en France, des travaux fondateurs du sociologue Dominique Monjardet (dont Frédéric Ocqueteau avait coédité les notes de travail, en 2008). C’est du reste dans la lignée des travaux longitudinaux de ce dernier (étude d’une cohorte de gardiens de la paix) que Geneviève Pruvost a traité et exploité l’enquête sociodémographique de 2003 sur une cohorte de fonctionnaires de police (avec Ph. Coulangeon et I. Roharik). Geneviève Pruvost a par ailleurs poursuivi ses travaux sur la place des femmes dans la police, qu’elle a ensuite élargis à l’apport de la sociologie du genre à l’étude de la violence, en particulier avec sa collègue Coline Cardi (Université Paris VIII). L’image de la police, vis-à-vis de l’extérieur mais aussi en interne est également interrogée à travers une série de travaux exploratoires sur les liens entre réalité du travail et fiction (Michaël Meyer).

Les recherches de Frédéric Ocqueteau sur le corps des commissaires, entreprises au CERSA (UMR Paris 2), prolongées au CESDIP sur la reconversion des policiers et militaires dans les services de sécurité des grandes entreprises, s’inscrivent également dans cette lignée. Enfin, la sociologie des polices municipales et de leurs agents a fait l’objet d’une série d’enquêtes et de notes de veille de Virginie Malochet.

Dans une perspective comparative, il faut aussi mentionner une coopération de Christian Mouhanna avec l’Université de Brême (Allemagne) sur le thème « Transformation of the State as Employer: Public Employees’ Role Perception and Their Interest Representation in International Comparison ». Ce projet, qui s’inscrit dans le 7e PCRD, compare l’image que les agents se font de leur métier dans trois domaines, dont la Police, et dans trois pays (Allemagne, Suède, France).

La sociologie des organisations

À l’intersection de la sociologie du travail et des professions et de l’analyse des politiques publiques, de nombreux travaux du CESDIP sont consacrés à la gestion et aux réformes au sein des organisations policières. La régulation et le management de ces organisations font également l’objet d’investissements constants. Il faut mentionner ici, tous les travaux sur l’organisation de la statistique de police comme outil de régulation de l’institution (Bruno Aubusson de Cavarlay), et l’introduction de nouveaux instruments de quantification et d’évaluation de l’activité policière (outil « Compstat » importé de New York à la Préfecture de police, analysé par E. Didier). On peut y ajouter les questionnements sur le management dans les services de police et l’impact des réformes (Jacques de Maillard, Christian Mouhanna et son ouvrage sur ce thème), et les autres tentatives directes de régulation de l’activité policière (recherche en cours de Christian Mouhanna sur la déontologie policière et, qui dépassent les seules organisations policières, les travaux de Frédéric Ocqueteau sur la CNDS et de Nicolas Fischer sur les lieux de privation de liberté).

Police et politique

Des travaux que l’on rattachera plus volontiers à la science politique interrogent la théorie de la police et le rapport entre police et politique. Il s’agit ici des travaux de Fabien Jobard, synthétisés dans une habilitation à diriger des recherches soutenue en mars 2013, mais aussi des travaux sur la maintien de l’ordre (ceux d’Olivier Cahn sur l’évolution récente du droit pénal et procédural en la matière, et l’enquête monographique de Fabien Jobard sur les manifestations anti-CPE de février-mars 2006 à Paris). Dans cette thématique, le CESDIP déploie depuis quelques années, dans le sillage des travaux doctoraux d’Emmanuel Blanchard, un travail précurseur sur les polices en situation coloniale. Elle est aujourd’hui portée par le biais d’une série d’opérations : recherche d’Emmanuel Blanchard sur la police en contexte colonial (Algérie) ; organisation d’un séminaire international de recherche (« Polices et policing en situation coloniale », sous l’égide du GERN) ; dossiers de publication (revues Crime, Histoire & Sociétés/Crime, History and Societies et Genèses) ; préparation d’un grand colloque international qui se tiendra à Bruxelles en décembre 2013.

Internationalisation et européanisation des polices

Toujours dans le champ de l’organisation politique des institutions policières, la question de la coopération policière internationale a fait l’objet du projet de recherche de Sappho Xenakis, post-doc RBUCE (2012 et 2013). Ses recherches ont porté sur les politiques intra-européennes de coopération policière, centrées sur les échanges culturels et les transferts de savoirs mais surtout de représentations collectives entre les polices de France, Grande-Bretagne, Grèce et Turquie, avec une focalisation particulière sur les domaines de l’anti-terrorisme et de la lutte contre la corruption. La question internationale est également abordée par Olivier Cahn dans son étude concernant la possibilité d’affecter une unité particulière de police judiciaire européenne à la Cour pénale internationale. De son côté, Jacques de Maillard a réalisé une recherche avec A. Smith (IEP Bordeaux) sur la manière dont les ministères de l’Intérieur britanniques et français s’adaptaient à l’européanisation des politiques en matière de sécurité. Il prolonge cette comparaison dans le cadre de l’ANR Refmanpol qui porte sur les réformes managériales des polices françaises et anglaises, en coopération avec Mathieu Zagrodzki, Frédéric Ocqueteau, Emmanuel Blanchard et A.-C. Douillet (Univ. Lille 2-CERAPS) et S.P. Savage (U. Portsmouth). Signalons également la coopération franco-indienne sous l’égide de René Lévy et A. Mehra (voir plus haut, opérations internationales).

Notons aussi que divers chercheurs travaillent sur des polices étrangères : Jérémie Gauthier sur les polices allemandes, notamment dans le domaine de la gestion de leurs relations avec les populations issues de l’immigration ; Michaël Meyer sur les polices suisses, notamment dans leur gestion de la question communicationnelle.