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Benoît Majerus est historien au Centre for Contemporay et Digital History à l’Université du Luxembourg. Il travaille sur l’histoire de la psychiatrie au 20e siècle. Il a récemment publié, avec Iris Loffeier et Thibauld Moulaert, eds. Framing Age: Contested Knowledge in Science and Politics. London: Routldedge, 2017 et « Politiques d’occupation et de Répression En Europe de l’Ouest ». In Gestapo & Polices Allemandes, edited by Patrice Arnaud and Fabien Théofilakis, 193–201. Paris: CNRS Editions, 2017.
Benoît Majerus s’intéressera à l’histoire de la psychiatrie à travers sa culture matérielle.
Véronique Fau-Vincenti est actuellement responsable des collections du Musée de l’Histoire vivante et vacataire à Paris 13. Elle a soutenu en novembre 2016 à l’EHESS une thèse consacrée au quartier de sureté de l’asile de Villejuif ouvert en 1910 et réservé, selon les termes de 1910, aux « aliénés criminels, vicieux, difficiles, habitués des asiles ». Son travail prend appui sur les dossiers des quelques 2000 internés placés entre 1910 et 1960 dans ce quartier asilaire, préfigurant les Unités pour malades difficiles à partir de 1986. Sa recherche actuelle porte sur l’histoire des autres quartiers de sureté historiques ouverts en 1947 à Montdevergues (aujourd’hui Montfavet), en 1957 à Sarreguemines et en 1963 à Cadillac – établissements constituant, avec Villejuif, les quatre premières UMD françaises (jusqu’en 2008 – elles sont aujourd’hui au nombre de 10).
Véronique Fau-Vincenti nous parlera de la 3e section de l’asile de Villejuif.
L’intérêt pour l’histoire de la psychiatrie dans les sciences sociales s’est manifesté dans les années 1960 et 1970, à un moment où des concepts tels que marginalité et déviance apparurent comme stimulants pour réécrire l’histoire des sociétés occidentales. Aujourd’hui, cette histoire de la folie fait face à un tournant. Essayer de la relire à travers sa culture matérielle permet de rester fidèle au patrimoine critique des années 1970, tout en ouvrant le terrain à des questions alternatives intégrant de nouveaux acteurs et des thèmes jusqu’alors largement ignorés. Emergent ainsi des récits nuancés tenant compte des asymétries de pouvoir, mais aussi des marges de manœuvres de tous les acteurs, ainsi que des échecs des utopies institutionnelles.
Avant même sa création, la 3e section de l’asile de Villejuif avait été conçue pour accueillir et maintenir selon les préconisations du Dr Henri Colin des « sujets instables, vicieux et difficiles, errant perpétuellement de l’asile à la prison, sans être à leur place ni dans l’un ni dans l’autre » et qui devraient être, selon le médecin, soumis également à une discipline rigoureuse. D’ailleurs, en mai 1924, le Dr Vervaeck, prometteur en Belgique de projets de loi de « défense sociale », ne manqua pas de signifier au Congrès de médecine légale de langue française de Paris « que le pavillon de l’asile de Villejuif était considéré comme un modèle du genre car il assure une protection sociale efficace tout en permettant le travail des aliénés et criminels dangereux » – ce que confirma en 1938, Hubert Corbet, ancien interne de la section, qui publia sa thèse dédiée à « La défense sociale à l’égard des pervers » à partir de l’étude de patients qu’il avait eu à observer à Villejuif.
De fait, dès son ouverture en 1910, la 3e section s’est imposé comme un espace de confinement, comme le montre l’étude des dossiers des internés qui a permis d’émettre des hypothèses quant à l’inscription de la section dans le paysage asilaire : la section, créée pour être un « quartier de sûreté », s’est révélée être également un lieu de rétention administrative et un établissement de défense sociale à la française renfermant des « incorrigibles » dont l’internement à la section est envisagé comme un moyen de se prémunir d’êtres socialement « nuisibles », selon les termes d’experts-psychiatres versés dans la criminologie.