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Camille Lancelevée est docteure en sociologie, chargée d’études à la direction de l’administration pénitentiaire. Elle a soutenu en octobre 2016 une thèse intitulée Quand la prison prend soin. Enquête sur les pratiques professionnelles de santé mentale en milieu carcéral en France et en Allemagne, sous la direction conjointe de Marc Bessin (IRIS, EHESS) et de Michel Bozon (INED et EHESS).
Caroline Protais est docteure en sociologie, chargée d’études à l’observatoire français des drogues et des toxicomanies et chercheure attachée au CERMES 3. Elle a soutenu en 2012 une thèse publiée en 2016 aux éditions de l’EHESS (collection Cas de Figure) : Sous l’emprise de la folie ? La responsabilisation des malades mentaux criminels par les experts psychiatres français. 1950-2007.
Camille Lancelevée et Caroline Protais ont participé, avec Caroline Guibet Lafaye (CMH, ENS) à une enquête financée par la mission GIP Droit et Justice portant sur l’irresponsabilité pénale : L’irresponsabilité pénale au prisme des représentations sociales de la folie et de la responsabilité des personnes souffrant de troubles mentaux, Mission de recherche Droit et Justice, octobre 2016, 260 p.
L’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, en diminution constante depuis le début des années 1980, suscite de nombreux débats chez les experts psychiatres (Protais, 2016), les magistrats ou encore parmi les équipes psychiatriques qui accueillent in fine les personnes concernées dans leurs services. Les points de controverse portent notamment sur les transformations des institutions carcérale et psychiatrique, dont on questionne la capacité à accueillir des auteurs d’infractions présentant des troubles mentaux (Lancelevée, 2016). La controverse porte également sur les bénéfices à attendre d’une (ir)responsabilisation pour la personne à laquelle s’applique cette mesure.
Dans ces débats, la façon dont les personnes concernées conçoivent l’irresponsabilité pour cause de trouble mental constitue un enjeu important : certains experts défendent l’idée que les malades ne voudraient pas être irresponsabilisés pour justifier un usage très restreint de ce principe, alors que d’autres mettent en avant le soulagement des patients d’être reconnus comme non coupables d’un acte qui leur a échappé. Quel est toutefois le point de vue des personnes ayant fait l’objet d’une irresponsabilité pour cause de trouble mental? Cette communication, fondée sur un matériau inédit (15 entretiens semi-directifs avec des personnes irresponsabilisées), produit à l’occasion d’une recherche financée par la mission Droit et Justice (Guibet-Lafaye, Lancelevée, Protais, 2016), tentera de répondre à cette question.
La communication étudiera le rapport qu’entretiennent les personnes hospitalisées avec la mesure d’irresponsabilité dont ils font l’objet. Les personnes rencontrées ont commis des actes graves (de l’agression physique à l’homicide) pour lesquels elles ont été déclarées irresponsables, à la suite souvent de plusieurs expertises psychiatriques, puis, pour certains, d’une audience devant la chambre de l’instruction voire d’un procès aux Assises. Le placement psychiatrique d’office va durer, dans la majorité des cas, de nombreuses années.
La communication montrera que le passage à l’acte est systématiquement vécu comme un moment de confusion, de perte de contrôle, voire de rupture biographique. Face au trouble produit, la déclaration d’irresponsabilité (et plus précisément les éléments diagnostiques fournis par les expertises psychiatriques ainsi que les équipes psychiatriques des hôpitaux) proposent aux personnes hospitalisées des éléments de justification médicaux qui peuvent leur permettre d’expliquer ces actes. Or toutes les personnes n’accueillent pas de la même façon les éléments apportés par le discours psychiatrique : si certaines utilisent le diagnostic comme un support de « subjectivation » (Foucault, 1994) qu’il s’agit d’intégrer au récit de soi, d’autres y voit une tentative « d’assujettissement » qui les force à abandonner leur propre vérité au profit d’une histoire exogène et considérée comme mensongère. Nous verrons dans cette communication que la façon d’accueillir la décision d’irresponsabilité mais surtout le diagnostic qui la justifie est déterminante dans le rapport à soi entretenu sur une longue période. Ceci va avoir une incidence pour la suite de l’hospitalisation, vécue par certains comme une étape nécessaire dans un parcours de reconstruction de soi et par les autres comme un enfermement inique. Mais bien plus fondamentalement, nous verrons que la bifurcation biographique (Bessin et al., 2010) attendue et accompagnée par l’institution psychiatrique est une condition sine qua none pour qui veut réinscrire sa trajectoire dans la société au-delà des murs de l’hôpital.
Bibliographie sélective :