L’une des plus anciennes traditions scientifiques du CESDIP est la quantification. Dans un double sens : contribution à la mesure des phénomènes criminels ou déviants ; contribution à l’interrogation sur les instruments et les politiques de mesure. On se souvient qu’à l’origine, le CESDIP s’était vu confier, outre sa mission d’études et de recherches, la gestion du Compte Général de l’Administration de la Justice, soit l’une des plus anciennes séries statistiques administratives françaises. À cette même époque, des pans entiers de la pénalité ont également fait l’objet de tentatives de quantification, qu’il s’agisse de la délinquance juvénile (violence en bandes), du coût du crime ou des représentations collectives de la justice.

Dans les années 1980, le traitement des statistiques judiciaires à partir de la méthodologie des « filières pénales » proposée par Bruno Aubusson de Cavarlay fera du CESDIP l’un des rares lieux de production en France de recherches sur la « production pénale », c’est-à-dire sur les populations et les délits que la justice poursuit, ne poursuit pas ou condamne ; recherche qui est en plein essor alors aux États-Unis sous l’appellation de « sentencing ». Le milieu des années 1980 puis les années 1990 verront le CESDIP importer et adapter les enquêtes dites de victimation (nationales, puis régionales ou locales), qui permettent d’appréhender la criminalité enregistrée, mais la criminalité déclarée par les résidents français.

De fait, le CESDIP a acquis une place institutionnelle singulière dans le paysage français, puis qu’il est le seul centre qui ait produit une quantification réflexive précoce sur les phénomènes de déviance, et en même temps poursuivi l’œuvre cumulative de mesure. Le CESDIP est sur ces questions un interlocuteur incontournable des pouvoirs publics.

Dès 2008, le CESDIP a engagé un effort particulièrement soutenu dans la production d’instruments de quantification réflexive sur les évolutions du crime, le sentiment d’insécurité et la sociologie des victimes (et non-victimes). En termes institutionnels, le CESDIP exploite les résultats des enquêtes INSEE de victimation (échelle nationale) et les résultats des enquêtes IAURIF (Île-de-France). Le CESDIP a engagé une ingénieure statisticienne (Fadoua Jouwhari) affectée au traitement de l’enquête régionale et un post-doc de 6 mois, Bilel Benbouzid (aujourd’hui maître de conférences à l’Université de Marne-la-Vallée), sur l’histoire des enquêtes de victimation en France. L’UVSQ a largement prêté son concours à cet effort. Tout d’abord en soutenant, en 2011, une chaire destinée à l’analyse quantitative en sociologie pénale, qu’occupe Frédéric Vesentini, maître de conférences en sociologie à l’UVSQ. Ensuite, en créant un poste d’ingénieur d’étude occupé par Sophie Peaucellier, statisticienne affecté à l’ensemble du laboratoire. Enfin par les contrats doctoraux obtenus au sein de l’école doctorale CRIT, pour la thèse de Mathieu de Castelbajac (soutenue en 2014) sur l’histoire des enquêtes de victimation en Europe et en Amérique, et la thèse de Bénédicte Féry (soutenue en 2015) sur le nouveau système de gestion des parquets français.

Ces efforts permettent au CESDIP d’offrir à la communauté scientifique et aux interlocuteurs publics une sérialisation des délinquances ; une analyse géosociale unique de l’insécurité et de sa perception en Île-de-France ; un travail critique sur la production des savoirs en ce domaine, notamment via le post-doc de Bilel Benbouzid, la thèse de Mathieu de Castelbajac ou les travaux réflexifs de Renée Zauberman et Philippe Robert, et ceux de Frédéric Ocqueteau. La mission d’information et d’évaluation de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale, présidée par le député Le Bouillonnec, a, fin 2012 procédé à l’audition de plusieurs chercheurs du CESDIP sur l’appareil actuel de mesure de la délinquance (Philippe Robert, Renée Zauberman, Bruno Aubusson de Cavarlay, Frédéric Ocqueteau, Christian Mouhanna et Jean-Hugues Matelly), et confié au CESDIP le soin de rédiger son annexe scientifique.

La chaire Vesentini permet de prolonger le travail engagé depuis le début des années 1970 par Bruno Aubusson de Cavarlay autour du Compte général et des données des parquets français (série dite « Base Davido », du nom d’André Davidovitch). Le projet sur les transformations des modes d’opérer de la justice pénale (1984-2010) s’inscrit dans cette veine, qui met en œuvre une analyse des tendances lourdes de la justice pénale en y introduisant une dimension spatiale. Parallèlement, la participation d’Annie Kensey, Bruno Aubusson de Cavarlay et Frédéric Vesentini à l’ANR SCIENCEPEINE double l’effort de sérialisation des données statistiques historiques par un travail portant spécifiquement sur l’histoire de longue durée de la détention en France.

Prolongeant les traditions ouvertes dans les années 1970 de recherche focalisée sur des pans plus étroits de la pénalité, le CESDIP a déployé un effort vers la mesure de phénomènes spécifiques.

On peut citer l’intérêt tout particulier pour la mesure de la structure raciale ou ethnique de la production pénale, comme le travail original de Fabien Jobard, René Lévy et Sophie Névanen sur les contrôles d’identité à Paris, mené sur traitement de données d’enquête, ou le travail de Fabien Jobard et Sophie Névanen sur les discriminations à l’audience, mené sur données administratives recodées. Bruno Aubusson de Cavarlay, en charge de l’animation d’un groupe de chercheurs auprès du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (2009-2010) et président depuis 2012 de la Commission de suivi de la détention provisoire, assure le traitement des données statistiques (publiées et non publiées) sur la détention provisoire, l’exécution des peines privatives de liberté et les autres formes de privation de la liberté. Toujours sur les condamnations, Annie Kensey poursuit son travail sur le suicide en prison, et le traitement en cohorte d’un échantillon de libérés de prison de 2002, portant en particulier le regard sur les libérés conditionnels et les auteurs d’agression sexuelle. Le travail de Laurent Mucchielli sur les violences (notamment délinquance juvénile, viols, homicides), celui qu’il a mené avec Véronique Le Goaziou sur les viols, travaux synthétisés dans son ouvrage de 2011, illustrent de la permanence de ces questionnements.

Concernant nos investissements de long terme, il faut souligner que le CESDIP est partenaire de l’Equipex CASD (Paris-Saclay – Fabien Jobard y est au comité scientifique). La coopération avec cet équipement permet à terme le croisement de nos données avec d’autres enquêtes. Sur la victimation et le sentiment d’insécurité, la coopération s’est engagée en septembre 2013 avec le Printemps et le LSQ-CREST au sein du Lidex ISIS. Enfin, le CESDIP contribue à la conception et la direction d’un Master de l’Université Paris-Saclay consacré à la quantification (également avec le LSQ-CREST et le Printemps).

Le CESDIP a conquis dans ces domaines une excellence internationale manifestée, en premier lieu, par les publications en anglais ou en français sur la mesure du crime, l’insécurité, le sentiment d’insécurité, dans le cadre du 6e PCRD européen intitulé CRIMPREV, dirigé par le GERN. Le CESDIP est également partenaire depuis 1996 du projet European Sourcebook (aujourd’hui porté par le contrat européen DECODEUR, Annie Kensey, Bruno Aubusson de Cavarlay), qui travaille à la production de données européennes en matière de décisions judiciaires.