Cindy Duhamel, Dominique Duprez et Elise Lemercier

Selon les données du ministère de la Justice, bien que les filles ne représentaient que 17 % des condamnations  de  mineurs  en  2013,  leur  nombre  ne  cesse  de  progresser  depuis  une  dizaine d’années :  +  40  %  pour  les  filles,  contre  +  3  %  pour  les  garçons. Dans  le  sens  commun,  la délinquance  des  filles  est  presque  toujours  raccrochée  à  une  supposée  nature  féminine  (parfois euphémisée sous des formes de psychologisation), ou au contraire, à leur supposée absence de féminité. Cette recherche a donc visé à analyser les parcours de vie de jeunes filles délinquantes, en interrogeant en particulier ce que ces parcours doivent aux rapports de genre. L’originalité de notre  démarche  est  de  s’inscrire  dans  une  double  approche  de  ces  processus,  à  la  fois sociologique et psychologique, notamment afin d’éviter l’écueil historique d’une pathologisation de ces jeunes filles.

Cette recherche s’est appuyée sur des entretiens semi-directifs auprès de jeunes filles prises en charge par la protection judiciaire de la jeunesse (en milieu ouvert, en centre éducatif fermé et en maison  d’arrêt),  complétée  par  des  entretiens  avec  des  professionnels  de  ces  établissements. Notre  population  de  recherche  est  ainsi constituée  de  31  jeunes  filles  ayant  faits  l’objet  d’une mesure ou d’une sanction pénale, par la justice des mineurs : toutes ont eu un entretien avec un ( e)sociologue, suivi, pour 15 d’entre elles, d’un entretien avec la chercheure en psychologie.

Après  avoir  présenté  neuf  portraits  de  jeunes  filles,  le  rapport  de  recherche  expose  nos analyses des ancrages, des chemins vers la délinquance et des traitements institutionnels vécus par ces 31  jeunes  filles  rencontrées.  Premièrement,  un  grand  nombre  d’entre  elles  a  été  victime  de violences morales, physiques et/ou sexuelles, au sein de leur famille, de leurs réseaux amicaux ou de  l’espace  public.  Elles  n’ont  toutefois  que  rarement  reconnues  dans  leur  statut  de  victime. Marquées  par  des  relations  conflictuelles,  leurs familles  ne  constituent que  très  rarement  une ressource pour y faire face.

Par contraste, leurs ancrages territoriaux constituent des ressources, en particulier en accédant à la place de fille dans la bande de garçons du quartier. Protégées, mais aussi contrôlées par le groupe,  elles  expérimentent  de  nouveaux  possibles  (mobilité,  fête,  consommation…).  Cette stratégie  trouve  néanmoins  ses  limites  lorsqu’elles  commencent  à  expérimenter  des  relations affectives  et  sexuelles.  Bien  que  valorisée  par  la  plupart  des  filles,  l’expérience  du  couple  ne  se révèle que rarement aussi protectrice qu’elles ne l’espèrent.

Nos  données  montrent  enfin  qu’il  n’existe  pas  de  singularité  dans  les  actes commis  par  les jeunes filles. Si singularité il y a, elle est à rechercher dans la réaction sociale qu’elle suscite. Une grande partie d’entre elles semble bénéficier d’une forme de protection contre l’incarcération (du moins dans un premier temps), en même temps que les autres apparaissent plus sévèrement punis (en particulier les filles ethnicisées comme “Roumaines”). Maintenues plus longuement dans un parcours  de  protection  de  l’enfance,  les  filles  rencontrées  accumulent  les  passages  à  l’acte, souvent durant des fugues de foyers, et la réaction est toujours la même :  un  transfert  vers  un nouveau  foyer  où  la  fugue  se  répète  jusqu’à  un  passage  à  l’acte  perçu  comme  grave  (agression d’un professionnel, acte de barbarie, séquestration, agression sexuelle…), la conduisant dans un lieu d’enfermement. Les structures fermées accueillant les jeunes filles sont rares, elles sont donc éloignées de leur environnement familial et social, rendant plus délicat la construction d’un projet pour leur sortie et leur réinsertion sociale.

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